Dans la roue du Petit Prince

Tout le monde connaît l’histoire du Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry mais peu de lecteurs savent qu’il s’agit d’une formidable invitation au voyage. À l’été 2019, Yannick et Marie-Hélène Billard embarquent leurs trois enfants de 7, 10 et 12 ans pour un fabuleux voyage à la rencontre des personnages du livre. D’un aviateur à un astronaute, en passant par un géographe, un businessman, un renard et des allumeurs de réverbères, leur aventure familiale les conduit, par les cols des Pyrénées, les montagnes de l’Atlas et le désert de Mauritanie, jusqu’à Bignona, en Casamance. Plus de 7000 kilomètres séparent la famille de son objectif ; en perspective, six mois de pédalage intense, de rencontres et d’émerveillement.

Roulez jeunesse !

Le 6 juillet 2019, début des grandes vacances. Nos enfants déposent leurs cartables. Nous confions le chat, nos poules et notre chienne à des amis. Après plus d’un an de préparatifs, le rêve se concrétise lorsque nous donnons le premier coup de pédales libérateur. La présence de nos amis nous réchauffe le cœur dans cette première étape car derrière nos larges sourires, les sentiments se bousculent…
Alors que nous, les grandes personnes, nous posons milles questions, les enfants laissent déborder leur énergie.

Les premières semaines sont le temps de l’apprentissage de la vie nomade, en famille. Délestés du confort habituel, nous apprivoisons le quotidien changeant. Des bivouacs tous les soirs, des lessives régulières et cinq bouches à nourrir à l’aide de ce satané réchaud à pétrole qui tombe perpétuellement en panne. Malgré une chaleur estivale redoutable, notre peloton familial trouve progressivement son rythme, avec une moyenne journalière d’environ 45 kilomètres pour 5 heures de pédalage.

« Je crois qu’il profita, pour son évasion, d’une migration d’oiseaux sauvages »

Le plus dur n’est pas d’avancer mais que chacun puisse vivre intensément l’aventure à sa hauteur. Ce n’est pas papa-maman voyagent et les enfants suivent. Il s’agit avant tout d’être à l’écoute des étonnements, des doutes et des joies de chacun de nos enfants. Malgré eux, nos trois jeunes apprentis voyageurs, nous amènent à regarder de nouveau le monde qui nous entoure avec des yeux émerveillés.

« La Terre n’est pas une planète quelconque ! On y compte […] deux milliards de grandes personnes. »

Les Planètes

Deux semaines après notre départ, notre première rencontre se fait au musée « l’envol des pionniers » à Toulouse Montaudran. Découvrir la légende de l’Aéropostale, de ces pilotes qui ont bravé les tempêtes et leurs peurs pour transporter le précieux courrier. Les enfants sont passionnés par cet aviateur de 1927, qui leur conte les péripéties de la ligne Toulouse-Dakar. Nous entrons dans la légende des pionniers de l’aviation : Mermoz, Guillaumet, et bien sûr, Saint-Exupéry. Et forcément, quand les petits princes à vélo rencontrent un aviateur, ils lui demandent : « S’il te plaît, dessine-moi un mouton ».

Notre rencontre avec un Astronome se fait après avoir gravi une légende du Tour de France, le Tourmalet, sous les applaudissements des cyclos sportifs impressionnés par l’âge des enfants et notre imposant chargement. À l’Observatoire du Pic du Midi de Bigorre, nous sommes accueillis par Eric Josselin, le Directeur scientifique du site, trop heureux de se glisser dans la peau du personnage du Petit Prince qui a justement contribué à sa vocation. Nos jeunes reporters l’interrogent sur son métier, ravis d’en apprendre davantage sur les astéroïdes, les étoiles et les planètes rouges. Nous découvrons l’immensité de l’univers, nous nous émerveillons des éruptions solaires et sommes impressionnés de l’étendue du savoir de ces hommes de science. Une rencontre unique, un beau moment partagé entre passionnés du Petit Prince qui ne nous fera plus jamais regarder les étoiles de la même façon.

Au fil des semaines de notre épopée sur les traces du petit bonhomme aux cheveux couleur de blé, nous rencontrerons ainsi des anti-vaniteux au village Emmaüs de Lescar-Pau, un géographe à l’Université de Coimbra, un social-businessman qui redistribue les excédents alimentaires aux plus démunis à Lisbonne, des reines venues du Mozambique pour trois de mois de formation en leadership féminin et écologique. Autant de rencontres qui marquent en profondeur nos trois petits princes à vélos toujours impatient de partir en quête de nouvelles découvertes.

Au phare de l’Europe, là où l’Afrique vient presque embrasser le vieux continent, ne laissant qu’un détroit, celui de Gibraltar, comme poste frontière, notre famille comprend plus en profondeur la réalité de cette traversée vécue en sens inverse par les migrants africains. Les témoignages de ces exilés qui n’ont pas toujours décidés d’eux-mêmes de partir, nous rappellent le dilemme de l’allumeur de réverbère raconté dans le Petit Prince : « La consigne n’a pas changé, c’est bien là le drame ! La planète d’année en année a tourné de plus en plus vite et la consigne n’a pas changé. ». Face à la détermination des migrants, la politique européenne ne s’est toujours adaptée pour permettre une gestion plus humaine de la situation.

« Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde… »

L'amitié

Le Maroc nous accueille dans l’ambiance épicée des souks des médinas de Tanger et de Fès. Nos petits tricolores découvrent ce nouveau monde avec de grands yeux écarquillés ! Pour eux, tout est inconnu et suscite de multiples interrogations : « Pourquoi ici, les gens boivent du thé toute la journée ? » ; « Regarde, papa, le monsieur fabrique un meuble au milieu de la rue ! » ; « Et là, c’est pour quoi faire, ce tas de cornes ? » ; « C’est vraiment un cimetière, cette pelouse où les gens pique-niquent ? » ; « Dis maman, tu crois que moi aussi il vaut mieux que je porte un pantalon ? » ; « Et comment ils font avec leurs toits terrasses, quand il pleut ? ».

Face à tant de nouveautés hautes en couleurs, notre peloton familial resserre encore une fois ses liens. Les enfants s’en remettent totalement à nous pour dépasser les différences culturelles. Soir après soir, nous sommes accueillis spontanément chez l’habitant. Famille française au milieu des familles marocaines, les rencontres se vivent avec naturel, dans la joie de se découvrir mutuellement. Nous avons finalement tant de choses en commun ! Que ce soit chez Mohamed, avec Fatima, chez Omar, en compagnie d’Azou ou sous le toit de Khadija, notre famille nomade aime ainsi se laisser apprivoiser le temps d’une soirée.

Quand cela est possible, nous adorons faire une promenade dans le village, vers les champs. Le temps de nourrir les quelques moutons, de ravitailler la vache, de rentrer les poules. Partager cette vie rurale offre l’opportunité de découvrir les savoir-faire de la maison. Samira et ses sœurs mettent trois à quatre mois pour confectionner manuellement un tapis berbère sur le grand métier à tisser qui trône à l’entrée du salon. Saïd décroche pour nous de lourdes tomates cœur de bœuf, un bouquet de persil et déterre une botte d’oignons nouveaux en vue de préparer une rafraîchissante salade marocaine. Ryad nous livre les secrets de la mousse qui couronne tout thé marocain digne de ce nom. Évidemment, nous ne manquons pas de nous extasier et de valoriser ces tours de mains mille fois répétés. Les enfants finissent par rentrer de l’école, tout heureux de trouver de nouveaux amis avec qui jouer. Sans que l’on ne sache ni quand, ni comment, un repas a eu le temps d’être préparé. Le tajine fumant ou le couscous doré du vendredi sont un régal, un symbole fort d’amitié.

Les montagnes de l’Atlas tant redoutées par les enfants se dressent devant nous. Dans une lente progression, nous nous hissons dix jours durant, mètre après mètre, jusqu’aux sommets pour franchir le col du Tizi N’Ouez, à près de 3000 m d’altitude. L’effort réalisé, la sueur dépensée font vivre le paysage. Seuls les montagnards savent le goût des difficultés surmontées qui mènent au nirvana des cimes. Perchés au milieu du ciel, nous culminons enfin au-dessus du relief. Nous voici au sommet du voyage, laissant éclater notre joie, nous serrant les uns les autres dans mes bras. Nous pleurons de joie en voyant nos petits grimpeurs rayonner de fierté, soulagés peut-être, un peu ahuris sûrement d’avoir surmonté un tel obstacle.

Descendre la vallée du Dadès est un instant de grâce. Chaque virage nous fait découvrir de nouvelles perspectives. Nous atteignons la vallée de roses qui aurait tant plu au petit prince. Derrière les remparts de Taroudant, une belle surprise nous attend. Des vélos surgissent de toutes les ruelles. Un nombre incalculable de bicyclettes se croise et s’entrecroise en tous sens. Point de code de la route, seulement la règle tacite de l’évitement délicat grâce à une conduite toute en souplesse. Au milieu de ce microcosme envoûtant, nous faisons la connaissance de Rachid, le renard de notre odysée. Il nous apprend que l’amitié se donne sans compter. Cet homme calme en toute circonstances, nous apprivoise en nous expliquant « que pour rentrer en amitié, il faut laisser ses a priori de côté, accepter que chacun soit le fruit de son histoire, de sa culture, de ses croyances ». De cet effort d’ouverture et d’acceptation naît immanquablement l’amitié. Comme autant de pays qu’on apprend à connaître les uns après les autres, toutes ces amitiés qui jalonnent notre parcours nous révèlent progressivement à nous-mêmes.

« Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part… »

Le désert

A la frontière mauritanienne, nous nous retrouvons largués en plein milieu du Sahara. Des étendues de sables incommensurables. Une lumière immaculée à perte de vue. Les mirages nous fascinent. L’horizon vibrant de chaleur se métamorphose en lac scintillant. Les touffes d’herbes deviennent des forêts, le moindre baraquement se transforme en gratte-ciel, un groupement de cahutes ressemble à une ville. Ce n’est qu’à notre approche que chaque élément reprend une proportionnalité normale, nous laissant ressentir l’immensité du désert.
Seul un serpent d’asphalte de 450 kilomètres au milieu des dunes nous servira de guide jusqu’à Nouakchott.

Nous nous sentons comme d’infimes grains de poussière face au vent, des petites comètes dans la solitude du désert. Poussés par l’harmattan, nous battons, chaque jour, de nouveaux records de distance : 70, 83 puis 97 kilomètres. La barre des cent bornes journalières sera franchie en repartant de la capitale mauritanienne avec 114 kilomètres au compteur ! Cette route des sables tant redoutée devient une parenthèse enchantée dans notre voyage. Une expérience hors du temps et de l’espace. Un moment invraisemblable où toute la famille vibre de joie au diapason.

Afin de mieux nous imprégner du désert, nous troquons nos bicyclettes pour le pas lent des dromadaires. Six montures étranges accompagnent désormais notre marche dans les dunes et deviennent rapidement les meilleurs amis d’Amandine. Les enfants s’en donnent à cœur joie dans ce gigantesque bac à sable. Leurs rires résonnent dans le calme infini des lieux. Ils se passionnent pour la vie du désert que leur enseigne Mahmoud, notre guide. La marche relaxe nos esprits vagabonds. Nous pensions le désert hostile, rude et exigeant. Il s’avère finalement d’une douceur apaisante, d’une sérénité absolue.

Tout en haut du mont Zarga, nous rassemblons nos trois petits Touaregs pour tracer au sable blanc la silhouette naïve du Petit Prince sur une pente couleur mandarine. Assis en silence, nous écoutons longuement le mystérieux rayonnement du sable : « Le Petit Prince est en chacun de nous. A la fois proche et lointain, il faut prendre le temps de le chercher pour le rencontrer ». Cette aventure familiale nous a permis de distinguer l’essentiel dans nos vies. En regardant nos enfants avec le cœur, nous avons appris à accueillir le bonheur qui se présente. Il est donc vrai qu’il y a toujours quelque part un puits pour embellir le désert.

« Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides »

Au bout du rêve

En quelques jours de pédalage, nous rejoignons la frontière fluviale qui nous sépare du Sénégal. Peu à peu, les paysages reverdissent, les peaux s’assombrissent. La fin du voyage approche et il nous reste à faire découvrir leur petit prince intérieur à chacun de nos enfants. Amandine incarne la joie de vivre depuis le début de notre aventure. Sa petite princesse à elle est joyeuse et fraternelle comme ces mamans africaines qui lui font des tresses. Simon a souvent dû se battre contre lui-même durant ce voyage, ce qui lui a permis de gagner beaucoup de confiance en lui. Son petit prince va vers les autres, quels qu’ils soient et aussi nombreux soient-ils. Coline a le cœur gros comme un baobab et sa petite princesse à elle s’inscrit dans cette génération qui fait de la préservation de la planète sa priorité.

Sur les paisibles routes de Casamance, nous roulons maintenant à cinq de front, nous remémorant nos souvenirs du voyage. Nous pourrions ainsi rouler une vie entière, tant ces moments nous remplissent de bonheur. Le final est pourtant proche. Si cela suscite un peu de mélancolie, toute la famille convient que six mois de pérégrinations sont suffisants. Au regard de l’intensité de notre aventure, plus de temps n’aurait fait que diluer le ressenti. En 6 mois, nos enfants ont tellement grandi ! Ils ont dépassé leurs craintes, changé leur regard sur les autres, se sont ouverts au monde qui les entoure. Nos trois petits princes à vélo ont appris à vivre sur la Terre des Hommes comme l’espérait tant Saint-Exupéry !

Le voyage se termine en apothéose. La fine équipe du Bignona Vélo Club, pour lequel nous avons collecté des fonds tout au long du périple, se joins à nous pour les cent cinquante derniers kilomètres. Quatre journées inoubliables à rigoler, s’épauler, chanter et palabrer sur les pistes rouges de latérite

À l’entrée du village de Djimande, tous les villageois viennent à notre rencontre, accompagnés du célèbre Kumpo. Les enfants ont les yeux étincelants de joie en admirant ce masque sacré des Diolas, qui tournoie au bout de son pic de bois en soulevant la poussière pour jeter sur nous toutes ses bénédictions. En rond, tout le village danse et se déhanche au rythme enivrant du tam-tam et des claves de rônier. Nous voilà bien vite entraînés par la foule, tentant quelques pas maladroits pour communier avec l’énergie du moment.

Quand l’heure du dénouement approche, la fierté se mélange au trouble. Nos trois petits héros pédalent avec un entrain sans pareil, heureux de découvrir enfin cette ville dont ils entendent parler depuis qu’ils sont tout petits. Toutes les images du voyage tournoient dans nos têtes, rappelant un visage, un paysage, un moment de partage. L’arrivée à Bignona se fait en fanfare, accompagnés d’un long peloton de plus de cinq cents cyclos. Un véhicule sonorisé ouvre la voie à grands renforts de décibels. Le rythme afrobeat de la musique fait se trémousser activement les cyclistes revêtus de tee-shirts estampillés sur le dos : « Fête du vélo. Dans la Roue du Petit Prince ». Jamais, de mémoire de Bignonois, autant de vélos n’avaient été réunis pour sillonner la ville !

La ligne d’arrivée franchie, on nous demande : « Que retiendrez-vous de cette formidable épopée ? ». Amandine se lance la première : « C’était trop cool le voyage à vélo ! » Coline s’émerveille de toutes nos rencontres solidaires et ajoute qu’elle a adoré la Casamance, ce qui soulève une nouvelle clameur. Simon a tant appris sur lui-même qu’il repartira plein de confiance en lui. Ce grand voyage sur les traces du Petit Prince nous aura fait comprendre que la force d’une conviction peut vous mener jusqu’au bout de vos rêves.

Retrouvez Yannick, Marie-Hélène, Simon, Coline et Amandine BILLARD dans le livre Dans la roue du Petit Prince paru aux éditions Transboréal dans la collection voyage en poche.

Vous pouvez commander l’ouvrage directement auprès de l’auteur pour une dédicace sur petitprinceavelo.wordpress.com

Écoutez également la petite famille au micro de Daniel Févet dans l’émission Le temps d’un bivouac sur France Inter :

livre Dans la roue du Petit Prince