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RWANDA, LES MILLE COLLINES À VÉLO

Il est des pays dont le destin n'est pas de caracoler en tête de gondole des destinations à la mode. Avec son histoire tragique collée à la peau, le Rwanda est de ceux-là. En plein mois de janvier, pendant sa petite saison sèche, nous l'avons exploré au fil des pistes et sentiers qui sillonnent ses collines couvertes de cultures bigarrées. Nous n'avons croisé que douceur, chaleur et bienveillance, à l'image de son climat généreux.

Yégo Yégo !

Durant 1 mois à vélo sur les pistes et les chemins du Rwanda, nous avons salué chaque personne croisée. Chaque jour des centaines de visages se sont illuminés en nous répondant un « yégo…» appuyé et chaleureux, parfois complété par une main serrée ou un poing fermé plein de pep’s. Paysan avec sa houe sur l’épaule, femmes à la démarche chaloupée par le poids des sacs sur la tête, jeunes filles endimanchées en route pour la messe, petits écoliers en uniforme, pousseurs de vélos lourdement chargés, jeune menant son petit troupeau de chèvres sur le bas côté…
Passé un certain âge, c’est en français et avec beaucoup d’emphase que l’on nous interpelle : « Bonjour, comment ça va ? ». On entame alors un brin de causette, l’occasion d’apprendre quelques nouveaux mots de kinyarwanda au passage. Les mamies lèvent les 2 mains en nous voyant, comme pour invoquer le ciel. Souvent, elle nous prennent dans leur bras et nous racontent avec plein de douceur des choses que l’on ne comprend pas. Nous arrivons à leur dire que nous avons des enfants en France, qu’ils sont grands et qu’ils travaillent. Leur bienveillance et leur douceur nous touchent, serait-ce ce qu’on nomme sagesse ?

Si l’on croise tant de monde c’est qu’ici toute la population marche. Le long des rares routes asphaltées ou des pistes en latérite rouge, sur les sentes qui traversent les plantations, on marche, on porte et on travaille du matin au soir. De petites motos mais aussi des vélos taxis relient certains villages, allégeant l’effort de ceux qui peuvent se l’offrir. Pour notre bonheur, leur passage crée toujours un étroit ruban bien tassé et lisse, soit sur des pistes où l’on serpente entre les trous et les ornières, soit sur des sentiers étroits savoureux. Le relief est exigeant et les saisons des pluies ravinent les versants (et parfois les ponts !), aussi nous ne croisons guère plus d’un ou deux 4×4 ou petits camions par jour.

Un pays jardin

Patiemment travaillée à la main, arrosée quasi quotidiennement par la pluie, la terre est ici féconde et produit à profusion. Le Rwanda est un vaste jardin d’éden, une antithèse joyeuse et insolente à la triste monoculture de nos contrées. Sous les bananiers, on plante le maïs au pied duquel on a intelligemment placé le haricot, un cocktail qui améliore en enrichit les sols en azote. Ici on maîtrise l’art de construire des buttes, au pied desquelles on fait courir l’eau. Les mini parcelles de manioc côtoient celles du sorgho. Le « silver oak » chêne argenté, illumine les champs tout en les protégeant des parasites.

Chaque agriculteur possède au moins une vache nourrie goulûment d’herbe fraîche, et d’un hachis de feuilles et de tronc de bananier. Mêlant excréments et litière, le fumier travaille au fil du temps pour faire un excellent engrais. Tous les membres de la famille sont alors sollicités pour remonter dans les champs pentus, à l’aide de bidons découpés portés sur la tête, l’or noir qui va booster la récolte suivante. La permaculture semble ici un art maîtrisé au plus haut niveau.
Nous avons croisé une variété impressionnante de cultures : maïs, manioc, canne à sucre, patates douces, tomates « tree », petits pois, choux, pommes de terre, oignons, haricots rouges, carottes, bananes (6 variétés différentes !), avocats, goyaves, mangues, papaye… Et en fonction des altitudes : riz, café et thé. La pente ne décourage personne et absolument tous les versants sont travaillés. Un vrai pays de cocagne !

Le pays est très peu motorisé. La plupart des tâches agricoles sont effectuées à la main. On retourne la terre à la houe, on taille les branches à la machette, on coupe les troncs à la hache, on scie les planches à deux avec une grande lame, on bat le grain avec un bâton, on transporte à pied ou à vélo. Nous avons assisté à la construction d’une barque où toutes les opérations, de l’arbre à l’embarcation achevée, sont effectuées sans aucun outil électro-portatif. Une prouesse pour nos yeux d’occidentaux…
L’arrivée dans les villages a un peu des airs de far west. De part et d’autre de l’allée centrale en terre battue, les bâtiments sont blottis les uns contre les autres, tous construits quasiment à l’identique avec une avancée permettant de s’abriter des averses. Ça en dit long sur la saison des pluies… À terre, des nattes accueillent maïs, sorgho ou autres arachides qui sèchent au soleil. Les femmes vendent aussi quelques fruits et légumes colorés.
À première vue, difficile de distinguer ce que vend chaque magasin et nous n’avons pas encore les clés pour aller droit au but… Attirés par des thermos et des brioches présentées derrière une vitre, nous dégottons notre premier bonheur : le “chaï tangawisi” (thé au gingembre) et les beignets locaux parfois dignes de nos bugnes savoyardes. Bientôt, quand la faim nous tiraille nous savons repérer le rideau synonyme d’une micro salle à manger. Bien calfeutrés dans l’ombre, il fait bon dévorer une assiette gargantuesque composée de riz, haricots rouges, bananes plantain, spaghettis, frites (succulentes !), viande ou poisson. Le repas idéal d’un cyclo-voyageur en quête d’énergie !
Devant les échoppes, des locaux sirotent à la paille un breuvage à la couleur café au lait. Leurs yeux rougis et leur posture instable ne font pas de doute sur la nature de la boisson… Cette “bière” de banane et de sorgho est consommée en grande quantité, comme en témoignent les nombreux vélos transportant un amoncellement de bidons jaunes croisés sur les pistes. La bière classique est aussi bien présente mais moins accessible financièrement.
En traversant le village, notre clin d’œil va souvent aux mécaniciens vélo, complicité cycliste oblige…

Les oiseaux...

Les oiseaux sont d’une variété et d’une beauté exceptionnelles au Rwanda. Au guidon de notre vélo, lors d’une pause ou au bivouac, leur vision est aussi magique qu’éphémère. Une aigrette blanche immaculée qui s’envole pour se reposer un peu plus loin sur le sentier longeant le lac Ruhondo, un ibis, une aigrette et un milan, immobiles comme des statues les unes à côté des autres. Près des rives, les buses et les milans survolent les cultures, guettant les rongeurs distraits, pendant que les canards rasent l’eau en escadron.

Nous savourons encore ce petit déjeuner où sont venus tour à tour se poser sur les branches souples des cannes à sucre, tisserins jaunes à tête noire et souimanga au plumage chatoyant. Une petite équipe d’Astrild nonnettes, délicatement poudrées de rose, ont fait un stop dans une cactée toute proche. Et nous avons pu à loisir nous ébahir devant l’élégante et très longue queue de la Veuve dominicaine, reconnaissable à son bec rouge vif, qui a choisi un fil électrique pour perchoir. Et que dire des chants d’oiseaux qui nous réveillent au petit matin…

No Plastic

S’il est un fait vraiment frappant dans le pays, c’est la propreté et l’absence de déchets sauvages. Le Rwanda est le premiers pays africain à avoir banni les sachets plastiques, et ce depuis une quinzaine d’années déjà. Un voyageur à moto venant de Tanzanie nous a raconté avoir dû âprement négocier en passant le poste de douane rwandais pour conserver un sac poubelle qui protégeait ses affaires en cas de pluie. Que ce soit au supermarché ou dans la petite échoppe de campagne, on emballe vos marchandises dans des sachets en papier kraft. Résultat : le pays est propre ! L’hygiène générale s’en ressent. Comme quoi, quand la volonté politique d’avancer sur un sujet environnemental est réelle et ancrée, on peut faire de grands pas !

Une fois par mois a lieu l’umuganda, quelques heures de travaux collectifs obligatoires, résultante des mesures imaginées pour que la population se rencontre et se ressoude après les traumatismes du génocide.

Forêt primaire de Nyungwé, poumon de la planète

Au Sud-Ouest du Rwanda, la forêt de Nyungwé est un joyau. Elle s’étend également sur le Burundi et est protégée sur les 2 territoires par des parcs nationaux. Elle serait parmi les espaces forestiers les mieux préservés d’Afrique, abritant une biodiversité incroyable. Cette forêt de montagne qui culmine à 2950 mètres, abrite les bassins versants des deux plus grand fleuves du continent africain, le Congo et le Nil. Elle reçoit 2000 mm d’eau par an et joue un rôle déterminant dans la régulation du climat au Rwanda.

Nous avons emprunté à vélo la seule route qui traverse le parc de part en part, sur une soixantaine de kilomètres asphaltés dans une magnifique ambiance.

Il nous a quand même fallu nous habituer à une présence militaire importante tout au long du trajet. Cette dernière vise à protéger les camions de marchandises de pirates venant du Burundi. Passé cet étonnement, nous avons pu profiter de paysages fantasmagoriques avec les grands arbres nimbés de brumes. De nombreux singes restent proches de la route, guettant les grains échappés des camions de céréales : nous avons observé des familles de babouins mais aussi de jolis colobes noir et blancs, et avons même furtivement vu 3 chimpanzés traverser la route.
Plusieurs fois de petites antilopes céphalophes des bois se sont immobilisées en nous voyant, ne fuyant que lorsque nous étions à quelques mètres d’elles.

La forêt de montagne du Parc National de Nyungwé recèle :

– 13 espèces de singes dont le chimpanzé
– plus de 300 espèces d’oiseaux dont 30 sont endémiques de la région
– près de 1070 espèces de plantes et 140 types d’orchidées
– 120 espèces de papillons

Lac Kivu

Le lac Kivu s’étend à l’ouest du pays sur près de 90 km de long et 50 km de large. C’est une véritable mer intérieure. Du rivage, l’atmosphère brumeuse aidant, on distingue rarement les rives du Congo RDC ou même celles de la grande île congolaise d’Idjwi qui occupe la partie centrale. Les rives sont très découpées, formant des presqu’îles et de nombreuses anses. Beaucoup d’îlots parsèment le paysage, parfois cultivés mais jamais habités de manière permanente. Le lac est fréquenté à la tombée de la nuit par les pêcheurs et leur grandes barques à balancier. Les bateaux avancent grâce aux rameurs; ici pas de moteur ! L’ambiance de ce lac est on ne peut plus paisible. Nous nous sommes plusieurs fois délectés du ballet des loutres en fin de journée.

Le lac Kivu recèle d’importantes poches de méthane piégées dans ses eaux profondes. Ce serait la raison pour laquelle on n’y croise ni crocodiles ou autres animaux dangereux, et que la baignade y est donc tranquille et agréable. L’extraction du méthane est un enjeu majeur pour le Rwanda car elle constitue une ressource infinie d’énergie.

Le pays du vélo

Le Rwanda est une nation de vélo. Au quotidien, le relief pourtant exigeant du pays n’entame pas la volonté de ceux qui se déplacent et l’on croise un nombre incalculable de vélos taxi transportant écoliers ou villageois.es, et bien plus encore des vélos lourdement chargés de marchandises. En tant que voyageurs à vélo on se sent donc complètement dans le rythme du pays, les rencontres sont naturelles et chaleureuses entre cyclistes !

L’État rwandais, en recherche d’unité nationale après le génocide, a favorisé le sport en général et a appuyé la pratique sportive du vélo en organisant des compétitions. Le Tour du Rwanda a ainsi rapidement dépassé  son rayonnement régional pour devenir la 1ère compétition cycliste du continent africain, c’est aujourd’hui une course internationale renommée. Le pays est un vivier de jeunes grimpeurs affutés qui ont un formidable terrain d’entraînement. Un centre de formation, l’Africa Rising Cycle Center a été créé à Musanze et accueille l’équipe nationale de cyclisme du Rwanda.

D’autres types de courses vélo se déroulent au Rwanda, comme la Rwandan Epic, une course VTT attirant des compétiteurs internationaux, ou la course de bikepacking Race around Rwanda.

Quelques tips pour voyager à vélo au Rwanda :

– visa à l’arrivée gratuit pour les ressortissants français, belges et suisses (validité 30 jours).
– saisons sèches : de janvier à mi-février et de juin à fin août.
– hébergements touristiques assez chers, mais camping possible dans les jardins des guest-houses.
– à découvrir : le Congo Nile Trail, un itinéraire vélo balisé, en balcon sur le lac Kivu, empruntant un réseau de pistes allant de villages en villages. Plus de 220 km d’itinéraire et pas mal de dénivelé.
– les possibilités de se ravitailler sont nombreuses : de petites épiceries dans la plupart des villages.
– pas de problème de sécurité, on est bien accueillis partout !

Aller plus loin :
– lire notre reportage Les forçats du vélo au Rwanda
– le Congo Nile Trail sur bikepacking.com